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Détermination de l’assiette du droit de partage en cas de liquidation d’une société et notion d’ « actif net partagé »

Lettre CREDA-sociétés 2018-18 du 21 novembre 2018

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Le partage réalisé entre les associés à la liquidation d'une société n’a lieu qu’ « après paiement des dettes sociales et remboursement du capital social ». Le capital social est donc exclu de l’assiette du droit de partage.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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A la liquidation d’une société, les associés souhaitent récupérer leurs apports et espèrent toucher un pécule en cas de réussite financière. De son côté, le Trésor public s’intéresse aussi à l’opération car un droit de partage est perçu sur la base de l'« actif net partagé » (CGI, art. 746 et 747). Cette notion n’étant pas définie, il appartient aux juges d’en délimiter les contours. Tel est l’intérêt de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 26 septembre dernier.

En l’espèce, les associés d’une SCPI décident sa dissolution et désignent un liquidateur. A l’issue de la liquidation, il est procédé au partage de la somme de 34 357 680€, sur la base de laquelle le liquidateur acquitte le droit de partage.

Contestant cette assiette, la SCPI essuie un rejet de sa réclamation contentieuse, puis assigne le directeur régional des finances publiques (DRFP) en remboursement des droits acquittés. Le TGI et la Cour d’appel de Paris donnent en partie raison à la SCPI et prononcent le dégrèvement partiel de l’impôt. Les juges estiment que l’ « actif net partagé » doit s’entendre comme l’actif subsistant après paiement des dettes et remboursement du capital social. En revanche, ils excluent de cet actif net partagé les primes d’émission, primes de fusion et réserves de « décapitalisation », qui n’avaient pas été incorporées au capital.

Le DRFP forme un pourvoi principal, estimant qu’il n’est pas justifié de limiter l’assiette du droit de partage. Pour lui, ce droit a pour objet de taxer les opérations mettant fin à l’indivision et l’attribution à chaque indivisaire d’un lot sur lequel il exerce la plénitude de son droit de propriété. Or, en matière de société, la clôture de la liquidation et la disparition de la personnalité morale ont pour effet de constituer une indivision entre les anciens associés composée du reliquat de patrimoine de la société liquidée. Ce reliquat, qui a vocation à être partagé entre les associés après désintéressement des créanciers, devrait dès lors inclure tous les apports, capital y compris.

La SCPI, pour sa part, refuse que les sommes partagées soient assujetties au droit de partage et relève un pourvoi incident. Selon elle, les primes étant versées par les associés en complément de leur souscription au capital, elles doivent être assimilées à des apports comptabilisés dans les capitaux propres et restituées aux associés à la dissolution avant le partage. Le même raisonnement est développé pour les réserves de décapitalisation, vues comme des apports en numéraires virés à un compte de réserve indisponible en conséquence d’une réduction de la valeur nominale des titres dans le cadre d’une réduction de capital. Le partage étant effectué après le paiement des dettes et remboursement du capital social (1844-9 du Code civil), toutes ces sommes devaient être exclues de l’assiette du droit de partage.

Il était donc demandé aux juges de préciser quelles sont les sommes qui, parmi l’actif subsistant à la clôture de la liquidation, constituent l’assiette du droit de partage.

Renvoyant les parties dos à dos, la Cour de cassation affirme :

  • que le droit de partage est liquidé sur le montant de l’actif net partagé. Or, en application de l’article 1844-9 du code civil, le partage de l’actif social ne pouvant avoir lieu qu’après la clôture de la liquidation, l’actif net partagé doit s’entendre comme l’actif subsistant après paiement des dettes et remboursement du capital ;
  • que les apports réalisés par les associés (primes et réserves), qui n’avaient pas été incorporés au capital, constituaient alors seulement des capitaux propres ; ils ne pouvaient être déduits de l’actif brut pour le calcul de l’assiette du droit de partage.

La lecture extensive de l’« actif net partagé » par l’administration

La notion d’ « actif net partagé » n’ayant fait l’objet d’aucune définition, ce n’est pas la première fois que l’administration et les juges livrent des interprétations divergentes.

Jusqu’à un arrêt du 23 septembre 2008, le versement de sommes d’argent à des associés en application de réductions de capital était qualifié de « partage partiel » par l’administration et taxé comme tel. Dans la doctrine fiscale, le droit de partage était exigible sur tout acte impliquant qu’une valeur cesse d’exister à l’état d’indivision pour entrer dans le patrimoine personnel d’un ou plusieurs coindivisaires. Or, selon cette doctrine, la réduction de capital permettant la répartition au profit des associés d’une fraction des valeurs sociales faisait tomber en indivision entre eux la portion des biens correspondant à la fraction réduite.

La Cour de cassation, s’appuyant sur l’article 1844-9 du code civil, objecta qu’en droit des sociétés le partage de l’actif ne pouvait avoir lieu qu’après la clôture de la liquidation. Or, d’une part, une réduction de capital n’entraine pas de liquidation et, d’autre part, elle met à la charge de la société directement envers chacun des associés une dette par part détenue, sans indivision. L’opération litigieuse ne pouvait donc ni être qualifiée de partage ni être assujettie au droit du même nom. Cet arrêt avait justifié l’intervention du législateur, pour soumettre les réductions de capital à un droit fixe (CGI, art. 814 C) et impliqué que l’administration modifie sa doctrine (Instruction 7 H-3-09), pour prendre acte :

  • de la référence à l’art. 1844-9  du Code civil en l’absence de définition fiscale autonome du partage de l’actif social ;
  • qu’une opération affectant le capital ne pouvait s’analyser comme un partage donnant lieu à l’application du droit de partage qu’à la condition qu’elle soit consécutive à une liquidation.

C’est cette doctrine qui trouvait à s’appliquer jusqu’à présent et qui tend une nouvelle fois à être tempérée.

Une interprétation tempérée par les spécificités du droit des sociétés

Le droit de partage s’applique aux « partages de biens meubles et immeubles, entre copropriétaires, cohéritiers et coassociés, à quelque titre que ce soit » (CGI, art. 746). Pour le partage entre copropriétaires, coindivisaires, etc., le calcul est assez simple : l’actif net taxable correspond à la différence entre les actifs détenus en indivision et le passif.

L’administration soutenait donc que lors de la liquidation d’une société, l’assiette était constituée de toutes les sommes disponibles après désintéressement des créanciers, sans égard pour leur provenance, et considérait que la liquidation mettait en indivision le reliquat du patrimoine.

Reprenant appui sur l’art. 1844-9 du code civil (V. déjà en 1997, la 1ère chambre civile), les juges martèlent que le partage réalisé entre les associés n’a lieu qu’« après paiement des dettes sociales et remboursement du capital social », excluant le capital social de l’assiette du droit de partage. L’indivision à laquelle il est mis fin et entrainant une répartition de sommes entre les associés, ne démarre donc qu’une fois les créanciers payés et le capital remboursé aux associés, pas avant.

Cela se comprend très bien : les apports constituant le capital ont vocation à être récupérés par les associés au titre d’une créance de restitution. Ils ne tombent pas en indivision lors de la liquidation, chacun ayant vocation à récupérer ses propres apports, au moins pour partie. Autrement dit : le capital social ne se confond pas avec l’actif social.

En revanche, la Cour rejoint l’administration en affirmant que les primes et réserves entrent dans l’assiette soumise au droit de partage, dans la mesure où elles ne sont pas incorporées au capital. Cette analyse peut être justifiée si l’on se rappelle que les primes et réserves sont des sommes apportées en complément de la souscription au capital, et qu’elles n’ont donc pas vocation à rejoindre la catégorie comptable du capital social. Néanmoins, on pourrait aussi objecter que la Cour de cassation adopte une lecture très littérale qui ne paraît pas vraiment en phase avec la logique qui conduit à exclure le capital social de l’assiette du droit de partage. Ces apports sont aussi des sommes initialement remises à la société par les associés, qu’ils ont vocation à récupérer. De ce point de vue, l’assiette du droit de partage devrait n'être constituée que du seul boni de liquidation, c'est-à-dire de l’excédent subsistant une fois que les associés se sont vus restituer non seulement le capital, mais aussi leurs différents apports, sans s’arrêter à la qualification comptable de ces derniers.

Une brèche ouverte vers des augmentations de capital préalables à la liquidation ?

La Cour de cassation indique que si les primes et réserves constituaient des capitaux propres, c’est parce qu’elles « n’avaient pas été incorporées au capital social », révélant au passage qu’elle a fait le choix d’une analyse purement comptable. Dès lors une échappatoire pourrait consister en la réalisation, avant la liquidation, d’une augmentation de capital, par incorporation des primes et réserves. Rejoignant le capital social, ces sommes se trouveraient ainsi exclues de l’assiette du droit de partage. Reste à vérifier si une telle opération résistera à la qualification d’ abus de droit., dès lors qu’elle est motivée exclusivement par la volonté d’échapper à l’impôt, en recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes.

 

Tanguy ALLAIN
Maître de conférences en droit privé à l’Université de Cergy-Pontoise

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