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Couverture de la nullité d’une décision prise en assemblée générale

Lettre CREDA-sociétés 2019-01 du 23 janvier 2019

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Pour régulariser une augmentation de capital votée sans qu'il ait été proposé de réserver aux salariés une augmentation de capital conformément à l'article L. 225-129-6 C. com., il suffit, dit la Cour de cassation, de soumettre au vote des associés la seule résolution manquante sans qu’il soit besoin d’organiser une nouvelle délibération sur l'ensemble de l'opération.

 

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Dans un arrêt rendu le 28 novembre 2018 et publié au bulletin, la chambre commerciale de la Cour de cassation apporte un éclairage intéressant en matière de régularisation d’une augmentation de capital entachée de nullité.

L’assemblée générale extraordinaire d’une société décide une augmentation de capital en numéraire le 29 novembre 2013 sans que les actionnaires ne soient consultés - comme ils auraient dû l’être en application de l’art. L. 225-129-6 C. com. - sur un projet de résolution tendant à la réalisation d’une augmentation de capital réservée aux salariés (C. trav, art.L. 3332-18 s).

Devant cette irrégularité, un salarié assigne la société en annulation de l’augmentation de capital. Afin d’échapper à cette nullité, la société décide de régulariser les décisions en convoquant une nouvelle AG, le 24 novembre 2014, lors de laquelle une résolution proposant de réserver aux salariés une augmentation de capital en numéraire est rejetée.

Débouté par la Cour d’appel d’Amiens le 3 novembre 2016, le salarié forme un pourvoi en cassation.

Le demandeur au pourvoi critique le fait que l’assemblée de régularisation du 24 novembre 2014 ne se soit prononcée que sur le projet de résolution tendant à la réalisation de l’augmentation de capital réservée aux salariés. Selon lui, cela ne suffit pas à couvrir l’irrégularité entachant la décision du 29 novembre 2013. A l’appui des articles L. 225-129-6 et L. 225-149-3 du C. com., il considère que le fait de se prononcer sur le projet de résolution tendant à la réalisation d’une augmentation de capital réservée aux salariés doit être concomitant à la décision d’augmentation du capital par apport en numéraire. Ainsi, en cas d’irrégularité, c’est toute la procédure qu’il conviendrait de reprendre « ab initio », en organisant de nouvelles délibérations tant sur l’augmentation de capital par apport en numéraire que sur le projet de résolution tendant à la réalisation d’une augmentation de capital réservée aux salariés.

Il était demandé à la Cour de cassation de dire si, pour purger l’irrégularité, il faut que les associés délibèrent à nouveau sur toutes les résolutions relatives à l’augmentation de capital, ou s’il suffit qu’ils se prononcent sur la seule cause de l’irrégularité.

En l’occurrence, les juges du droit rejettent le pourvoi et approuvent le raisonnement de la cour d’appel : pour régulariser l’augmentation de capital litigieuse, il suffisait de soumettre au vote la seule résolution manquante en proposant de réserver aux salariés une augmentation de capital, sans qu’il soit besoin d’organiser une nouvelle délibération.

La possibilité pour une société de couvrir une décision irrégulière

En droit des sociétés, la menace d’une nullité a une double vertu :

  • d’une part, elle protège les actionnaires contre des assemblées irrégulières au cours desquelles seraient prises des décisions critiquables ;
  • d’autre part, elle exige une grande rigueur juridique de la part ceux qui ont la charge d’organiser l’assemblée.

Pour autant, les nullités ne sont pas trop largement ouvertes, afin d’assurer à la société une certaine quiétude contre tout risque de demandes abusives de la part d’actionnaires procéduriers, et, surtout, pour cantonner les effets dévastateurs de la rétroactivité attachée à une nullité. C’est ce qui explique que les nullités peuvent être couvertes ou régularisées (C. com., art. L. 235-4, L. 235-6, L. 235-7), à l’occasion d’une nouvelle assemblée générale régulière et que les délais de prescription soient relativement courts : 3 ans, à titre de règle générale, à compter du jour où la nullité est encourue (C. com., art. L. 235-9).

En outre, l’action en nullité est éteinte lorsque la cause de la nullité a cessé d’exister le jour où le tribunal statue sur le fond en première instance (C. com., art. L 235-3).

Tout est fait, en réalité, pour que les sociétés puissent couvrir les décisions irrégulières de façon à éviter autant que possible l’anéantissement d’actes ou de décisions qui auraient pu produire des effets, notamment économiques.

En l’espèce, on comprend bien l’intérêt qu’avait la société à régulariser la décision d’augmentation de capital, et alors même qu’elle avait été assignée en nullité devant un tribunal, tant que celui-ci n’avait pas définitivement statué au fond. On peut même penser que si la régularisation n’était pas intervenue à l’initiative de la société, le juge du tribunal de commerce aurait fixé un délai pour lui permettre d’y procéder (C. com., art. L. 235-4).

Une nullité impérative, restant conditionnée à sa constatation par le juge

L’article L. 225-149-3 C. Com. prévoit que « sont nulles les décisions prises en violation (…) du premier alinéa de l’article L. 225-129-6 », c’est-à-dire à défaut de résolution tendant à réaliser une augmentation de capital réservée aux salariés.

Il s’agit d’une cause de nullité impérative en raison de l’emploi du présent de l’indicatif.

Ainsi, le fait pour la société d’avoir décidé une augmentation de capital sans soumettre au vote une résolution sur une augmentation de capital aux salariés, la rendait nulle, et il n’appartenait plus qu’au juge saisi de la constater pour qu’elle soit effective.

Il s’agit ici d’une menace brandie par le législateur pour tenter de donner une force contraignante à cette disposition visant à développer l’actionnariat salarié. Mais encore fallait-il que le juge la constate. Tant que cela n’est pas fait, la décision n’est pas annulée, ce qui rejaillit sur les conditions d’une éventuelle régularisation.

Des précisions sur les conditions de validité de l’AG tendant à couvrir la décision initiale irrégulière

On savait déjà que la nouvelle assemblée devait elle-même être régulière (C. com., art. L. 235-4), mais on hésitait sur le point de savoir s’il fallait reprendre toute la procédure depuis le départ ou bien si l’on pouvait se satisfaire de purger l’irrégularité identifiée.

En l’espèce, la Cour d’appel, comme la Cour de cassation, décident qu’il suffit de se prononcer sur la résolution entachant l’assemblée générale initiale d’irrégularité pour couvrir cette dernière.

La solution doit être approuvée car elle a le mérite du pragmatisme et est conforme à l’intérêt de la société.

Couvrir une nullité consiste bien à purger l’irrégularité qui en est la cause, mais cela n’implique pas nécessairement de reprendre ab initio l’assemblée générale entachée par l’irrégularité. Ainsi qu’il a été dit précédemment, si la décision initiale d’augmentation de capital encourait une nullité impérative, encore fallait-il qu’un juge la prononce. Dès lors, si l’on exigeait que l’assemblée de régularisation statue à nouveau sur toute la procédure, cela reviendrait à considérer que l’assemblée initiale est nulle sans qu’un juge n’ait prononcé cette nullité. Or, tant que le juge n’est pas intervenu, l’assemblée est certes irrégulière, mais pas encore annulée (sinon, à quoi bon prévoir la possibilité de la régulariser ?). Il est donc préférable de considérer que, pour couvrir cette nullité, il suffit de la purger de la cause de son irrégularité. En ce sens, la régularisation procède à une correction permettant de rendre la décision initiale valable. Mais la régularisation n’est pas une réfaction.

Juridiquement exacte, cette solution est aussi économiquement opportune.

  • D’une part, elle permet de ne pas anéantir inutilement la décision d’augmentation de capital qui répondait à des impératifs économiques au jour où elle a été décidée.
  • D’autre part, elle ménage les intérêts des salariés, puisque la règle qui a été spécifiquement introduite à leur profit a été finalement respectée, même tardivement.

Précisons quand même que rien n’interdit à l’organe procédant à la régularisation de refaire totalement la procédure, de façon à se garantir la meilleure protection possible.

L’art. L. 225-129-6 C. com, un mécanisme inutilement lourd et peu efficace

En dernier lieu, on observera combien ce mécanisme, dont la philosophie reste louable - promouvoir et développer l’actionnariat salarié - complique en fait la vie des sociétés.

A la rigueur d’un point de vue formel, on peut considérer qu’il appartient aux équipes en charge du droit des sociétés, de prendre l’habitude d’associer systématiquement cette résolution à toutes les augmentations de capital en numéraire afin d’éteindre tout risque d’action en nullité. Une fois les matrices de résolutions préparées et rodées, la complexité peut d’une certaine mesure être maîtrisée.

Néanmoins, le mécanisme reste lourd pour les sociétés qui n’ont pas mis en place de plan d’épargne d’entreprise ou d’autres moyens d’intéressement. D’ailleurs, les sociétés qui souhaitent développer l’actionnariat salarié ne s’appuient pas sur ce dispositif pour le faire.

En outre, l’idée initiale du dispositif, introduit par la loi du 19 février 2001 sur l’épargne salariale, était davantage de sensibiliser les associés à la question de l’actionnariat salarié, en les obligeant à débattre périodiquement, mais certainement pas d’en faire un préalable technique à la réalisation et la validité d’une augmentation de capital. Il est donc regrettable que l’on ait pu trouver ici un moyen juridique pour déstabiliser les sociétés.

On rappellera à ce titre que le 2ème alinéa de l’art. L. 225-129-6 C. Com., qui fait corps avec le dispositif discuté et prévoyant l’obligation triennale de soumettre à l’assemblée générale une augmentation de capital réservée aux actionnaires est sur la sellette. Il pourrait être supprimé par la proposition de loi dite Soilihi.

Vu par les entreprises comme contraignant, lourd et sans véritable efficacité pratique, il est source de crispation entre dirigeants et salariés-actionnaires et est incompris par les investisseurs qui constatent que le conseil demande le rejet d’une résolution qu’il a lui-même présentée. Le rapporteur au Sénat de cette proposition de loi laisse même entendre que la suppression du 1er alinéa de l’art. L. 225-129-6 C. com. a pu un temps être envisagée, considérant qu’il s’agit aussi d’une obligation formelle peu efficace.

Sur le même sujet :
Lettre creda-societes n° 2019-07 du 24 avril 2019, Proposition de loi de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés : point d’étape

Il y a donc certainement matière à réflexion pour développer l’actionnariat-salarié, sans pour autant créer des leviers juridiques de contestation sur le terrain de la vie sociétaire.

Tanguy ALLAIN
Maître de conférences en droit privé à l’Université de Cergy-Pontoise

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