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L’abus de minorité n’est pas susceptible d’entraîner la validité d’une résolution adoptée à une majorité insuffisante

Lettre CREDA-sociétés 2018-01 du 24 janvier 2018

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Le « refus abusif » commis par un associé minoritaire à l’occasion d’une décision collective ne peut pas être sanctionné par l’adoption forcée de la délibération.

 

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Le « refus abusif » commis par un associé minoritaire à l’occasion d’une décision collective ne peut pas être sanctionné par l’adoption forcée de la délibération. Telle est la solution rappelée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un récent arrêt.

En l’espèce, un couple et ses cinq enfants étaient associés d’une société civile immobilière. À la suite du décès des parents, 98 % des parts sociales sont tombées dans deux indivisions successorales. Lors d’une assemblée générale extraordinaire, la vente d’actifs a été proposée aux associés. L’un des indivisaires a refusé de voter en faveur de la désignation du mandataire de l’une des indivisions. Ce refus a eu pour conséquence de bloquer l’adoption de la délibération en assemblée, faute d’atteindre la double majorité requise par les statuts. Malgré cela, l’accord des associés a été considéré comme donné à la gérance. L’indivisaire a donc assigné la SCI en annulation des résolutions concernées. Sa demande a été rejetée par les juges du fond selon lesquels, en raison du caractère abusif du refus exprimé par le minoritaire, « la régularité du vote émis [devait] être tenue pour acquise ».

Mais l’arrêt est cassé, au visa de l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 , au motif qu’un « abus de minorité n’est pas susceptible d’entraîner la validité d’une résolution adoptée à une majorité insuffisante ».

Dans cette solution, deux éléments retiennent l’attention : la qualification de l’abus, d’une part ; la sanction de celui-ci, d’autre part.

La qualification d’abus de minorité

Les termes d’abus de minorité sont employés par la Cour de cassation qui laisse donc entendre que le comportement de l’indivisaire relève de cette catégorie.

Immédiatement, ce choix interpelle car à la lecture de l’arrêt rendu par la cour d’appel, il apparaît que les juges du fond avaient eux-mêmes pris le soin d’éviter cette qualification, préférant s’en tenir aux termes génériques de « refus abusif ». Cela appelle plusieurs observations.

D’abord, la qualification d’abus de minorité n’était pas un passage obligé pour se prononcer sur la sanction du comportement du minoritaire.

Ensuite, cette qualification est retenue alors même que les juges du fond n’avaient pas vérifié l’existence des critères de l’abus de minorité tels qu’ils ont été fixés par la Cour de cassation au début des années 1990 (Cass. com., 15 juill. 1992, n° 90-17.216 ; com., 9 mars 1993, n° 91-14.685).

Il n’a donc pas été établi que le refus du minoritaire était contraire à l'intérêt de la société (notamment en ce qu'il aurait interdit la réalisation d'une opération essentielle pour celle-ci) et opposé dans l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des majoritaires.

Enfin, s’agissant de la nature du comportement, il n’était peut-être pas si évident qu’il puisse être qualifié d’abus de minorité.

Et pour cause, dans la majorité des situations, l’abus de minorité est retenu par les juridictions en présence, soit d’une absence délibérée à l’assemblée (ex. Cass. com., 15 juill. 1992, préc. ; com., 9 mars 1993, préc.), soit d’une opposition directe du minoritaire à une résolution (ex. Cass. com., 4 déc. 2012, n° 11-25.408). Mais qu’en est-il du comportement qui ne relève ni de l’une, ni de l’autre, de ces catégories ?

L’examen de la jurisprudence révèle que les juges du fond ont étendu la notion d’abus de minorité aux attitudes de minoritaires qui répondent, même en dehors des assemblées, aux deux conditions posées par la Cour de cassation. Il a, ainsi, été admis que la multiplication de questions écrites ou de recours judiciaires contre les majoritaires étaient constitutifs d’abus de minorité.

Ceci a conduit la doctrine à distinguer l’« abus négatif » d’une part, et l’« abus positif », d’autre part.

L’abus négatif désignerait les blocages en assemblée tandis que l’abus positif désignerait, à l’inverse, les actes extérieurs à l’assemblée. L’abus de minorité n’est donc habituellement pas réduit à son champ premier d’application que sont les blocages en assemblée. Au cas particulier, le comportement du minoritaire, qui ne consistait pas en une opposition directe à une résolution mais qui conduisait, dans les faits, à un tel résultat, était donc, semble-t-il, bel et bien éligible à la qualification d’abus de minorité.

Dans l’absolu, la qualification retenue par la Cour de cassation mérite donc sans doute approbation. Mais celle-ci aurait été plus confortable si les critères de l’abus de minorité avaient été, au préalable, vérifiés par les juges du fond. Sans doute la Cour a-t-elle, en réalité, saisi l’occasion de cette affaire pour rappeler sa position sur la sanction de l’abus de minorité.

La sanction de l’abus de minorité

Depuis l’origine, la sanction de l’abus de minorité, lorsqu’il est commis à l’occasion d’une assemblée, est une question qui divise.

Pour les uns, nombreux, la situation de blocage justifie que le juge puisse prononcer l’adoption forcée de la résolution bloquée.

Pour les autres, le juge ne peut s’immiscer dans les affaires sociales, ce qui impose de condamner la théorie du jugement valant acte. Beaucoup de juges du fond se sont ralliés à la première théorie.

La Cour de cassation, pour sa part, s’y est toujours opposée (Cass. com., 15 juill. 1992, préc. ; com., 9 mars 1993, préc.) et l’arrêt rapporté rappelle sa fermeté sur la question. En présence d’un abus de minorité « négatif », la seule solution permise aux juridictions est la nomination d’un mandataire ad hoc, chargé de voter aux lieu et place des minoritaires réticents. La Cour a d’ailleurs précisé que les juges ne peuvent pas imposer au mandataire de voter favorablement à la résolution proposée (Cass. civ. 3ème, 16 déc. 2009, n° 09-10.209 ; com., 4 févr. 2014, n° 12-29.348).

Mais l’arrêt laisse intacte la question - bien moins souvent évoquée - de la sanction de l’abus dit « positif »…

La solution rendue appelle une seconde observation : la cassation est prononcée au visa de l’article 1134 (anc.) du code civil ce qui, à première lecture, peut étonner.

Il est, en effet, plus habituel de voir le visa de l’article 1382 (anc.) du code civil en matière d’abus de minorité. Mais il s’explique, semble-t-il, par l’objet du litige. À la différence des précédents, le débat ne portait pas sur la qualification de l’abus de minorité. Il était, au contraire, demandé à la Cour de cassation de constater que le prononcé de l’adoption forcée de la résolution par les juges du fond avait eu pour effet de violer la règle de majorité prévue par les statuts. Le pourvoi se fondait donc sur la violation par les juges du fond du principe de la force obligatoire des conventions et, au cas particulier, des statuts.

Certes, il serait aussi possible de voir derrière ce visa le troisième alinéa de l’article 1134, c’est-à-dire l’exigence de bonne foi dans l’exécution des conventions, puisque le lien entre la bonne foi et la théorie de l’abus de droit est étroit. Mais au regard de l’objet du litige, cela paraît peu probable.

 

Clément BARRILLON
Maître de conférences à l’université Paris-Nanterre
Membre du Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique

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