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Contrat de travail de l’associé unique d’EURL : la fin de la recherche d’un lien de subordination ?

Lettre CREDA-sociétés 2019-05 du 27 mars 2019

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L' associé unique, qui a renoncé à son mandat de gérant, ne peut invoquer le bénéfice d'un contrat de travail dès lors qu'il dispose du pouvoir de révoquer le nouveau gérant, ce qui exclut toute dépendance attachée à la qualité de salarié.

 

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Lorsque l’on évoque le contrat de travail en droit des sociétés, c’est généralement pour s’interroger sur le point de savoir si un mandataire social peut cumuler cette fonction avec un emploi salarié. Il s’agit, de façon quasi systématique, de bénéficier de la législation du travail et d’un statut social protecteur, pour compenser la précarité du mandat social.

Bien qu’il existe des règles spécifiques pour certaines formes sociales (v. par ex. en matière de SA : C. com., art. L. 225-21-1 et L. 225-22), le cumul n’est en principe pas interdit, dès lors que les fonctions exercées en tant que salarié sont distinctes des fonctions sociales et qu’il existe un lien de subordination. Mais il arrive parfois que l’associé d’une société souhaite également conclure un contrat de travail avec la société, sans pour autant exercer un mandat social. La solution pourrait sembler à première vue plus évidente. Elle soulève toutefois quelques difficultés, comme en témoigne l’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation, le 16 janvier 2019.

M. X, associé unique d’une EURL, exerce la gérance de cette société depuis l’acquisition de la totalité des parts sociales le 23 juillet 2010 et ce jusqu’au 30 novembre 2011, date à laquelle il démissionne de ses fonctions de gérant. Après cette date, la fonction de gérance est « cédée » à M. B, et un contrat de travail de directeur administratif et financier est conclu entre M. X et la société, représentée par son nouveau gérant, le 10 décembre 2011.

A l’occasion de la liquidation de la société ayant entrainé son « licenciement » (le liquidateur émettant des doutes sur la qualité de salarié de M. X.), M. X saisit le conseil des prud’hommes pour faire fixer sa créance au titre d’un rappel de salaires et de congés payés afférents, des indemnités de rupture et de dommages intérêts.

Il est débouté de l’ensemble de ses demandes, tant par les juges de première instance que par la cour d’appel, au motif qu’il n’avait pas la qualité de salarié, faute d’avoir exercé ses fonctions dans le cadre du lien de subordination caractéristique du statut de salarié. M. X. forme alors un pourvoi en cassation.

Dans sa demande, essentiellement fondée sur les articles 1103 du code civil et L. 1221-1 du code du travail, il affirme qu’il existait bien un contrat de travail le liant à son employeur, lequel pouvait lui donner des ordres et des directives, en contrôler l’exécution et prononcer des sanctions en cas de manquements. Il ajoute que la qualité d’associé de l’EURL n’était pas incompatible avec celle de salarié dès lors qu’il n’exerçait pas les fonctions de gérant.

Il conteste ensuite la décision des juges du fond à l’aide de motifs d’ordres probatoire et procédural.

  • D’une part, il estime qu’en présence d’un contrat écrit ou apparent, il appartient à celui qui se prévaut de son caractère fictif d’en apporter la preuve. Dès lors, les juges du fond ne pouvaient pas lui refuser la qualité de salarié au seul motif qu’il était associé de l’EURL, tandis qu’il apportait de nombreux documents établissant sa qualité de salarié.
  • D’autre part, il observe que ses conclusions établissant l’existence d’un lien de subordination, avaient été laissées sans réponse, alors qu’il faisait valoir qu’il exerçait les fonctions de directeur administratif sous la direction du gérant seul détenteur du pouvoir de décision et disposant seul de la signature sur les comptes bancaires, ce qui constitue un défaut de motif.
  • Enfin, les juges n’auraient pas examiné ni analysé tous les éléments de preuve fournis, notamment des attestations émanant de salariés.

Autrement dit, il était demandé aux juges de vérifier si l’associé unique d’une EURL, qui n’exerce pas les fonctions de gérant, peut conclure un contrat de travail avec la société.

La Cour de cassation, confirmant la solution dégagée par les juges du fond, affirme que l’intéressé, associé unique, qui avait exercé les fonctions de gérant jusqu’au 30 novembre 2011, disposait du pouvoir de révoquer le gérant, ce qui excluait toute dépendance attachée à la qualité de salarié.

Une solution procédant en apparence à un revirement

La solution surprend quand on sait que la même chambre a rendu, dans des circonstances très proches, une solution diamétralement opposée (Cass. soc., 11 juill. 2012, n° 11-12161). Dans cette autre affaire, une personne, qui était déjà salariée depuis plusieurs années d’une société unipersonnelle, avait racheté la totalité des parts sociales puis désigné son frère en tant que gérant. A l’occasion de la liquidation, le nouvel associé unique et salarié avait saisi la juridiction prud’homale pour fixer au passif de la société ses créances de salaires. Les juges du fond l’avaient débouté considérant que le statut d’associé unique était exclusif de celui de salarié, même en présence d’un gérant non associé, puisque celui-ci était nommé et révoqué par l’associé, interdisant que le gérant exerce à son égard un pouvoir de direction. En outre, les juges notaient que le gérant étant le frère de l’associé unique, cela rendait illusoire tout pouvoir de direction sur le salarié.

La chambre sociale avait néanmoins décidé que « la qualité d’associé unique non-gérant n’est pas exclusive de celle de salarié » et qu’il « appartient à celui qui invoque le caractère fictif du contrat de travail d’en reporter la preuve ».

Depuis cet arrêt, on admettait donc que l’associé unique d’EURL non-gérant pouvait valablement conclure un contrat de travail avec la société, à condition simplement de le mentionner sur le registre des décisions de l’associé unique (C. com, art. L. 223-19 al. 3). Cela s’inscrivait en fait plus largement dans le sillon tracé par la jurisprudence antérieure.

Jusqu’à présent, une analyse factuelle de la situation permettait de vérifier l’existence ou non d’un lien de subordination

Sous l’impulsion des organismes de sécurité sociale notamment, il existe une jurisprudence abondante vérifiant, au cas par cas, si l’associé d’une société peut exercer un emploi salarié. Concernant l’associé non gérant plus particulièrement, on retrouve de nombreuses décisions analysant les faits pour vérifier si un lien de subordination existe ou non.

Par exemple, l’associé égalitaire non gérant, qui partageait avec son frère gérant la direction d’une société et recevait la même rémunération ne se trouvait pas, même dans l’exécution de taches techniques, sous sa subordination (Cass. soc., 4 mars 1981, n° 79-16504).

A l’inverse, la Cour de cassation a estimé que l’exercice de fonctions salariées n’était pas incompatible avec la qualité d’associé non gérant même égalitaire, dès lors que celui-ci n’avait fait qu’apporter à la société un concours technique effectif et était placé sous la subordination du gérant (Cass. soc., 19 oct. 1978, n° 77-13338).

Dans une autre affaire, il a été indiqué, toujours par la chambre sociale, que « la qualité d’associé majoritaire, n’est pas exclusive de celle de salarié ». Dès lors, la cour d’appel aurait dû vérifier si le demandeur, associé non gérant (bien que son épouse soit gérante et qu’il dispose avec elle de la quasi-totalité des parts sociales) n’avait pas exercé en fait ses fonctions de directeur commercial dans un état de subordination (Cass. soc., 4 déc. 1990, n° 87-43913).

On peut donc être surpris qu’en l’espèce ni les juges du fond ni la Cour de cassation n’aient choisi de s’en tenir à la qualité d’associé unique, sans analyser précisément les faits ainsi que l’exigeait le demandeur non gérant, qui fournissait un contrat de travail écrit, des bulletins de salaire, des attestations de salariés, des témoignages concordants expliquant qu’il travaillait bien sous l’autorité du gérant, etc.

Comment justifier cette solution apparemment contraire à la jurisprudence antérieure ?

Dans l’affaire rendue en 2011, l’associé unique était salarié avant d’avoir acquis la totalité des parts de la société qui l’employait, et occupait un poste éloigné des préoccupations d’un mandataire social (chauffeur grand routier).

Dans l’affaire rapportée, celui qui prétend bénéficier d’un contrat de travail avait d’abord acquis la qualité d’associé unique et exercé des fonctions de gérant, avant d’en démissionner pour occuper les fonctions de directeur administratif et financier. La Cour de cassation le souligne d’ailleurs en précisant que « l’intéressé, associé unique, (…) avait exercé les fonctions de gérant jusqu’au 30 novembre 2011 ».

On peut donc supposer qu’un critère temporel ait pu être retenu par les juges. A la manière des administrateurs de SA (C. com., art. L. 225-22), l’associé unique qui n’exerce pas les fonctions de gérant ne pourrait être salarié de sa société que si le contrat de travail a été conclu avant d’acquérir la totalité des parts sociales (et à la condition bien sûr que les fonctions correspondent à un emploi effectif).

Cela n’est toutefois pas totalement satisfaisant. En effet, que le contrat de travail soit conclu avant l’acquisition de la totalité des parts sociales, ou alors que le salarié était déjà associé unique, le pouvoir conféré par le contrôle sur les décisions sociales est le même : pendant l’exécution de son contrat de travail, l’associé unique, bien qu’il n’exerce pas les fonctions de gérant, dispose de la liberté de nommer et révoquer le gérant. Ce faisant, le gérant, dont le maintien en poste est conditionné au bon vouloir de l’associé unique, ne peut clairement pas installer un rapport de subordination à l’égard de celui qui cumule un contrat de travail avec la qualité d’associé unique.

Vers un refus systématique de la conclusion d’un contrat de travail par un associé unique ?

A bien y regarder, il n’est pas certain que la chambre sociale ait adopté cette position catégorique qui consisterait à refuser, dans tous les cas, que l’associé unique puisse conclure un contrat de travail avec la société qu’il contrôle, que ce contrat de travail soit conclu avant ou après l’acquisition de qualité d’associé unique.

En évoquant également dans son dispositif le fait que le demandeur ait exercé les fonctions de gérant avant d’avoir conclu le contrat de travail, la Cour de cassation instille le doute : la solution aurait-elle été différente si l’associé unique n’avait pas été gérant avant d’avoir conclu le contrat de travail ?

Tanguy ALLAIN
Maître de conférences en droit privé à l’Université de Cergy-Pontoise

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